Nathalie Stutzmann : La force du destin

L’Orchestre de Paris accueille pour la première fois  la cheffe Nathalie Stutzmann, les 20 et 21 octobre 2021. Aujourd’hui demandée par les plus grandes phalanges internationales, elle dirigera Alexandre Tharaud dans un programme-manifeste du romantisme européen.
Les Scandinaves ont donné le la, en choisissant dès 2017 Nathalie Stutzmann comme cheffe  principale de l’Orchestre symphonique de Kristiansand, en Norvège. Deux institutions américaines légendaires lui tendent aujourd’hui les bras :  l’Orchestre de Philadelphie, qui vient de la nommer Cheffe principale invitée, et le Metropolitan Opera de New York, où elle fait ses débuts en octobre avec Iphigénie en Tauride de Gluck.

Et la France ? Pour les mélomanes, elle y est d’abord une figure clé de la musique baroque, dans les rôles de contralto virtuoses, mais aussi comme directrice artistique de l’ensemble Orfeo 55. Sur tous les continents, cependant, son timbre profond sert depuis longtemps le romantisme allemand. Les plus grands chefs se l’arrachent pour les œuvres orchestrales avec voix de Brahms ou Mahler. Elle est aussi, outre-Rhin, l’une des rares artistes françaises à bénéficier d’une telle reconnaissance dans le lied. Mais d’un Urlicht de Mahler comme soliste à une symphonie au podium, il y avait un monde…

Évoquer ce parcours avec Nathalie  Stutzmann, c’est aussi souligner combien les obstacles dressés sur la route des artistes féminines ont pu empêcher des vocations de se réaliser et des talents d’éclore. Pianiste, bassoniste et violoniste, elle avait dès l’adolescence souhaité intégrer une classe de direction d’orchestre au Conservatoire de Nancy. Mais le professeur lui en avait refusé l’accès, usant d’un argument-massue autant que décomplexé : ce n’était pas un métier pour les femmes. À cette époque pas si lointaine, tous n’étaient pas forcément d’accord, mais personne n’aurait osé lui donner tort. Le chant fut donc un deuxième choix, le succès détournant les regrets… provisoirement du moins.
Trois figures tutélaires vont l’aider à rele-ver le défi – redoutable quand on a acquis  une notoriété dans un autre domaine et que les regards ne sont pas néces-sairement bienveillants. "Je ne voulais pas être une soliste de plus qui devient chef, sans nécessité artistique absolue", se souvient d’ailleurs Nathalie Stutzmann. Dès 2008, elle s’ouvre de ses aspirations à Seiji Ozawa, dont elle est l’une des interprètes d’élection. Ce dernier l’invite au Japon pour diriger son orchestre de Saito Kinen : test concluant, estime le Maestro. Les premiers concerts suivent, l’un d’entre eux, consacré à Schönberg et Brahms, bénéficiant d’un autre auditeur de choix : Sir Simon Rattle. Il l’incitera à se former auprès de Jorma Panula, comme tant d’étoiles de la baguette avant et après elle. Elle trouve en lui le guide qui lui permet d’affirmer sa technique.

Dix ans plus tard, la cheffe s’est imposée dans le monde musical anglo-saxon et nordique, mais la France l’a encore peu invitée. Ces deux concerts avec  l’Orchestre de Paris représentent donc un rendez-vous clé, pour lequel Nathalie Stutzmann a choisi une grande arche dramatique entre l’ouverture de La Force du destin de Verdi et le fatum qui scande la Symphonie n° 4 de Tchaïkovski. "Que ce compositeur soit parfois accusé de mièvrerie me consterne", souligne-t-elle. 
"Le son de l’Orchestre de Paris me semble idéal afin de privilégier une vision dépouillée, au lyrisme continu mais contrôlé, battant en brèche cette caricature." Le programme est aussi l’occasion d’une rencontre au sommet avec Alexandre Tharaud, autre artiste français célébré sur les grandes scènes mondiales.

Par Aude Tortuyaux
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